Harriet Burden est une artiste-peintre à New-York. Elle souffre du manque de considération que les médias, le public ou les galeries accordent à ses oeuvres. Sa condition de femme dans le monde de l’art, sa situation de veuve d’un galeriste célèbre, tout joue en sa défaveur.
Masquage
Pour déjouer les diktats artistiques en vigueur, les préjugés ou les stéréotypes, elle mène un projet sous forme de triptyque intitulé “Masquages”. Elle organise trois expositions en solo dans des galeries renommées avec des hommes de paille. Anton Tish (1999), Phineas Eldrige et Rune (2003) sont ses prête-noms masculins.
Elle s’avance masquée et réussit son pari : ses œuvres connaissent le succès par l’entremise de ses représentants; Harry reçoit enfin la considération des critiques par personnes interposées.
Son subterfuge révèle la complexité de la perception humaine au travers de filtres liés au sexe, à la race ou autre. Ces tamis par lesquels on perçoit la réalité, influencent et déterminent la compréhension d’une œuvre artistique bien réelle.
Piège
Mais le piège qu’elle tend au public et aux critiques pour triompher des préjugés, se referme sur elle. Qui est pris qui croyait prendre. Rune, son dernier avatar, manipulateur, refuse de révéler la supercherie à la gloire de Harry et reprend à son compte ses créations. Harry est seule, abandonnées de tous, incomprise, jugée folle lorsqu’elle prétend être l’auteur des œuvres exposées. Personne ne la croit.
Ce qu’on montre quand on cache
Brillant exercice, un peu ennuyant à la longue, pour un récit éclaté, presque choral, qui développe le thème intéressant des jeux entre apparence et réalité, perception et compréhension, masque et identité.
“Ce qui m’intéressait, c’étaient les perceptions et leur mutabilité, le fait que nous voyons surtout ce que nous nous attendons à voir.” (p. 44)
Le récit de Siri HUSTVEDT justement progresse dans une mutation permanente, avec un apport successif d’un point de vue différent, les strates déposées par les narrateurs qui alternent, pour former un ensemble : ce roman. L’histoire se révèle à nous par petits fragments. Divers documents laissés par Harry, des témoignages écrits ou oraux de proches, des entretiens avec des critiques ou connaissances, se succèdent pour former un récit kaléidoscopique. Chaque chapitre offre un point de vue de la réalité sous un angle subjectif. Tantôt Harry, tantôt ses enfants, un amant, ses avatars ou des critiques prennent la parole ou la plume pour donner leur version.
Déguisement et révélation, personnification sous forme d’oignon de pseudonymie : que révèle-t-on de soi quand on se cache? Qu’est-ce qu’on montre quand on se dérobe?
Ambiguité, ambivalence, bisexualité. Voilà les grands thèmes qui se rassemblent pour formuler des questions intéressantes posées avec habileté.