En février 1942, l’écrivain Stefan Zweig se suicide au Brésil. Sa jeune épouse Lotte l’accompagne dans la mort, par amour. Comment cet auteur célèbre dans le monde, juif autrichien ayant échappé au nazisme, met-il fin à ses jours; pourquoi entraîne-t-il sa femme à commettre l’irréparable? Laurent SEKSIK retrace ici les six mois qui ont précédé le décès des deux membres d’un couple en exil. On se prend à rêver, au fil des pages de ce roman, en croyant ce destin tragique évitable, même si inéluctable.
Le Juif errant
Stefan ZWEIG a 60 ans et est un écrivain célèbre dans le monde pour ses romans, son théâtre et ses essais. Pacifiste convaincu, juif, intellectuel averti, il quitte tôt l’Autriche nazie pour l’Angleterre, les États-Unis, enfin le Brésil.
“Il disposait d’un sixième sens, il connaissait les sombres horizons vers où se dirigeait le monde.” (p. 69)
Dans cette fuite qui ressemble à la course du Juif errant, il connaît peu de repos. Sa jeune épouse rencontrée à Londres en 1934, asthmatique, cherche un second souffle dans un pays tropical. Leur vie est le lieu d’une errance sans plus d’endroits fixes où habiter.Ayant fui la dictature, la barbarie nazie, ils vivent libres mais reclus. L’homme souffre d’une maladie noire, une inconsolable tristesse; il n’aime plus que le silence, avec la mort pour prochaine compagne.
Survivre à l’horreur
Car l’homme blessé doute de pouvoir être heureux en tant Juif, dans une sorte de mimétisme avec le malheur environnant. A l’égal sde la question de survie qui s’est posée aux personnes rescapées de l’extermination nazie, l’interrogation reste vive : comment vivre alors que tant d’hommes meurent? comment survivre à l’idée d’être survivant?Lisant Montaigne, l’écrivain en fuite ne peut suivre son précepte:
“Ne te préoccupe pas de l’Humanité en train de se détruire, construis ton propre monde.” (p. 87)
Nous sommes conduit vers une issue fatale. Et pourtant, et c’est là la force de ce récit, on se met à imaginer une autre fin possible sans trop vouloir se rappeler la mort que l’on sait.
Orfeu negro
Le carnaval de Rio en ce terrible mois de février 1942, vécu par un couple près de mourir, nous vaut de très belles pages. Les deux héros sont emportés par la foule et la liesse populaire qui les surprend comme hébétés. C’est Orfeu Negro (le film tourné en 1958 par Marcel CAMUS au Brésil, qui revisite le mythe d’Orphée et Eurydice), lors duquel se pressent la présence de la mort.Et en effet, au lendemain de cette fête, l’homme et la femme accomplissent l’acte fatal. Le jour devient la nuit.———Laurent SEKSIK, Les derniers jours de Stefan Zweig, ed. Flammarion, 2010, 188 p.