Formidable unité de temps et de lieu qui confère à ce roman une force dramatique. Quelques heures de la vie d’une femme se déroulent alors sous nos yeux de lecteurs, nous aussi plus ou moins impassibles. L’histoire commence aux petites heures du matin pour se terminer peu après, sur ce parking au pied d’un immeuble où une femme agonise. Des témoins assistent à la scène sans intervenir, l’un croyant que l’autre s’est chargé d’alerter la police. C’est un fait établi que, plus le nombre de témoins lors d’un accident est élevé, moins les spectateurs interviennent.
Un prétexte, une occasion
C’est le formidable prétexte exploité avec maîtrise par l’auteur pour mobiliser le lecteur pris par la frustration, cette incapacité à agir et porter secours à la victime. L’impuissance nous anime, comme dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. On espère alors au détour d’une page – la page suivante, qu’un protagoniste interviendra enfin.C’est l’occasion unique pour l’auteur de nous livrer les raisons qui empêchent les témoins d’agir. Comme les circonstances racontées ici pour chacun des personnages, qui viendraient atténuer leur part de responsabilité dans le déroulement du drame. Chacune des personnes présentes a une raison d’être éveillée à cette heure tardive et d’être témoin.
Multiplicité des récits
Des histoires dans l’histoire, des intrigues multiples se succèdent et s’entremêlent, les personnages se croisent et se retrouvent dehors au pied de leur immeuble, lorsque tout prend fin.
- Frank croise Kat sur le parking, lorsqu’il part en voiture pour vérifier ce que la voiture se sa femme a heurté peu avant (un landeau?).
- Au cours de ses recherches, il croise un flic ripoux Alan Kees, qui l’implique pour maquiller des malversations.
- Patrick Donaldson, 19 ans, doit bientôt rejoindre un régiment pour la guerre du Vietnam, alors qu’il veille sa mère malade.
- Diane Myers se disputent avec son mari qui rentre à l’instant d’une soirée passée au bowling. Elle le soupçonne d’entretenir une liaison adultère.
- Thomas Marlowe désespère, mais se détourne de ses idées suicidaires en compagnie de Christopher venu pour l’aider.
- Peter Adams fait l’amour à la femme de son collègue, alors que son épouse est dans les bras de ce collègue.
- David White est ambulancier et, à la suite d’une intervention d’urgence, apporte le secours à un ancien professeur d’anglais qui l’a maltraité dans sa jeunesse.
- William, enfin, rentre aux côtés de sa femme endormie, les mains ensanglantées, après avoir violenté Katrina qui se meurt non loin de là.
Ce silence qui nous frappe
Ce qui unit tous ces personnages, c’est le silence, ou presque. Une mutité les frappe, les rendant impuissants devant les évènements qui se déroulent dans leur existence. Et nous lecteurs sommes placés dans la même situation, en lisant – en silence… – l’histoire qui se déroule sous nos yeux.Le jeune conscrit, Patrick, qui assiste sa mère malade, ne lui a pas parlé de son appel sous les drapeaux.
“Aucun son ne s’échappe de sa bouche” (p. 102)
Larry a du mal à expliquer à sa femme les raisons de son infidélité.
“Je suis désolé… Les mots ont bien du mal à sortir” (p. 104)
Le prof d’anglais accidenté tente de crier au secours, “mais ce n’est qu’un grognement dans sa gorge” (p. 67). Peter ne s’explique pas les sentiments nourris aux bras de la femme d’un collègue, au cours d’une folle nuit:
“Peter ne peut que la regarder, sans trouver quoi dire” (p.113)
Tout ce silence donne une épaisseur au drame. Dans les dernières pages du roman, tout se dénoue, tout se dit. Tant bien que mal.
Short cuts
Roman choral, récit éclaté, à la façon des “Short cuts” de Robert Altman. Histoire polyphonique, dont l’intrigue est savamment construite, autour de ce même lieu, en quelques heures. Une réussite! Le jeune