Quatre personnages prennent la parole tour à tour pour présenter un fait tragique : l’accident mortel survenu à un bus scolaire dans la petite ville de Sam Dent, New York.
“Une communauté qui perd ses enfants perd son esprit”.
Ce n’est pas l’histoire de ces quatre protagonistes qui nous est racontée : la conductrice survivante de l’autocar, un père de deux enfants morts, un avocat ou une jeune fille restée handicapée. “De beaux lendemains” est le récit de toute une communauté d’hommes et de femmes traversée par un drame et, plus encore, dont un ordre jusque là invisible, une certaine façon de vivre ensemble, est menacé par l’imminence d’un procès entamé contre la Ville et ses représentants. Quelques uns se débattent pour “échapper à cet énorme néant noir” qui menace d’engloutir leur univers entier.C’est tout un monde qui risque de s’écrouler, sous nos yeux, sans l’intervention de Billy Ansel, père “orphelin” de ses deux enfants décédés, et de Nicole Burnett, jeune fille sortie hémiplégique de l’accident. Son témoignage anéantit les chances d’un procès et sauve toute une communauté qui renaît peu à peu.
“C’était comme si nous étions désormais les citoyens d’une autre ville, comme si nous étions une communauté de solitaires vivant de beaux lendemains”.
Roman choral
Tour à tour, quatre personnages nous font le récit du péril connu par la ville.
- Dolorès Driscoll, l’autocariste qui raconte le fil des événements tragiques et passe en revue les habitants membres de la communauté – petit à petit, au cours du parcours de l’autobus dans lequel montent les enfants un à un au petit matin. C’est le portrait des ces enfants, de leurs parents, que nous dresse la conductrice; elle nous mène au coeur même d’une petite ville américaine.
- Billy Ansel, ancien combattant du Vietnam qui, après le décès récent de sa femme, voit mourrir ses deux enfants; son camion suivait juste derrière le bus quand celui-ci a basculé dans le ravin. Quelque chose de métallique en lui refuse de fléchir, quelque chose de froid et d’insensible l’empêche de tomber. “Comme un animal blessé qui se terre : mieux vaut le laisser se guérir tout seul”, même si c’est avec l’aide de l’alcool. Il reste un exemple aux yeux de tous.
- Mitchell Stephens, l’avocat étranger au petit monde de Sam Dent, qui fait le portrait de cette communauté d’un autre œil. Il veut intenter un procès à la Ville et à ses représentants pour négligence coupable. Il poursuit les témoins, convainc les plaignants et attise les dissensions. Il est celui par qui “ce patelin est devenu odieux à habiter“, se plaint Billy Ansel.
- Nicole Burnett, rescapée qui surmonte son handicap et agit selon un plan, à l’instigation de Billy Ansel, pour sauver un certain esprit de corps au sein de la ville.
Terrible humanité
Tous ces protagonistes font choeur et apportent l’un après l’autre leur témoignage. Ils sont tous dotés d’une terrible humanité qui nous les rend proches.
- Dolorès, pour vivre en couple avec un mari invalide, philosophe aphasique, qu’elle aime à demi-mots et comprend sans paroles;
- Billy Ansel, victime d’une “vietnamisation” de sa vie toute entière, mais qui tient debout et ranime un esprit communautaire moribond;
- Mitchell, avocat dont la vie privée est un désastre, brisée de manière sporadique par les appels téléphoniques de sa fille perdue, droguée, paumée, atteinte du sida, apprend-il impuissant;
- Nicole, qui échappe à la mort et reprend vie au sein de sa famille, de sa ville; victime d’attouchements sexuels dont son père est l’auteur, elle est actrice des derniers jours de son enfance en condamnant son père à l’inaction et au silence.
C’est parmi ces personnes, dans ce petit monde, que nous sommes conviés à évoluer au fil des pages de ce très beau roman.