En 1945, dans le sud de l’Allemagne, une compagnie dirigée par le capitaine Louyre débusque dans une ferme isolée une jeune fille apeurée. A ses côtés, les os d’un cadavre calciné…L’intrigue est menée avec habileté par l’auteur pour nous conduire à la vérité. Le jeune officier, sorte d’inspecteur plus fin psychologue que militaire, suit avec nous le fil de l’histoire. Partant du plus singulier, il arrive au plus général : l’Histoire et l’Allemagne en temps de guerre.Peu après la capitulation de l’Allemagne, tout est ruine; le pays est dévasté, la morale évanouie.L’officier français se confronte à la jeune Maria, puis se prend d’affection pour elle en devinant ses malheurs d’orpheline. Il affronte les représentants du canton qu’il est chargé d’administrer:
- le maire, dont la mémoire est partielle et partiale;
- le curé, qui se cache la vérité;
- le médecin-psychiatre, à la tête de l’importante maison de soins de la région, aujourd’hui mystérieusement désertée.
Le massacre des innocents
La destinée de la jeune Maria rejoint l’Histoire. Ses malheurs épousent les horreurs de la guerre. Son père meurt sur le front russe, sa mère dépressive décède en maison de repos. L’auteur reprend comme moteur de l’intrigue un fait établi dans l’Allemagne nazie, à savoir le meurtre organisé des personnes handicapées, l’extermination des malades mentaux, dans le cadre d’une politique sanitaire eugéniste.Invention romanesque et révélations historiques se mêlent dans ce récit avec habileté. L’Histoire renforce l’histoire.
Échange de bons sentiments
Cet ouvrage retient notre attention grâce à la sympathie que nous ressentons pour la jeune fille ballotée par les heurs et malheurs de la guerre, ou pour le capitaine qui nous accompagne à travers les mystères et mensonges des témoins de l’horreur hitlérienne.A noter l’insistance avec laquelle la jeune fille perdue réclame le paquet de lettres envoyées du front par son père. Maria, en échange de son courrier récupéré par le concours d’un soldat, donne son corps. Les mots, en contrepartie des sens, mais sans sentiments.
“- Des sentiments? dit-elle en riant. Mais nous n’avons jamais parlé de sentiments en échange des lettres. Et puis comment peut-on échanger des lettres contre des sentiments? Les sentiments, ça ne se commande pas.Elle ajouta:- Et je ne sais pas faire semblant.” (p.84)
DUGAIN fait ici très bien semblant. Ces lettres volées illustrent l’exercice toujours difficile de littérature dans lequel se dépense l’auteur, avec maîtrise. Cet échange de lettres, de mots et de phrases s’accompagne de bons sentiments : ceux que le lecteur éprouve pour une histoire touchante.—–Marc , , ed. Gallimard, NRF, 2010, 226 p.