Un vrai bijou, une petite merveille. Laura ALCOBA raconte quelques années d’enfance, et c’est passionnant. Ce livre nous fait vivre le quotidien d’une enfant de neuf ans. La jeune fille fuit la dictature en Argentine. Elle rejoint en 1979 sa mère réfugiée dans la banlieue parisienne. Elle laisse au pays ses grands-parents attentionnés, son père emprisonné par la junte militaire. Elle leur écrit régulièrement, pour leur faire part de son apprentissage de la langue française, de ses découvertes.
Les yeux d’un enfant
Laura ALCOBA nous raconte la vie quotidienne près de Paris en 1979 avec les yeux d’une enfant. Elle nous livre sa vision tantôt naïve, parfois incrédule, souvent étonnée, de la vie en banlieue. Des épisodes cocasses, attendrissants, souvent drôles, défilent sous nos yeux. L’angle de vue est intéressant : les gens, les choses de la vie sont vues par une enfant qui ne comprend pas ce qu’elle découvre. Elle nous livre son innocence dont nous nous amusons sans mauvaise part. Elle raconte:
- les visites en prison pour voir son père, avant de quitter l’Argentine;
- la correspondance entretenue avec son père et les règles absurdes imposées par l’administration pénitentiaire;
- les leçons de français données par une professeure argentine pour préparer son arrivée en France.
“C’est dans ce premier livre français que j’ai appris qu’ici, en France, tous les chiens s’appellent Médor et les chats Minet. Et plein d’autres choses qui, à ce moment-là, me semblaient très utiles.” (p. 15)
La jeune fille lit “La vie des abeilles” de Maurice Maeterlinck pour échanger avec son père des propos sur cette lecture commune. Elle lit sans rien comprendre “Les fleurs bleues” de Raymond Queneau pour en savoir davantage sur le sujet, en vain. D’autres péripéties apparaissent, racontées à hauteur d’enfant, et nous parlent de notre propre jeunesse:
- les bonbons colorés enfermés dans un coquillage;
- l’immersion linguistique, entendue comme un vrai bain!
- l’emprunt d’un livre en bibliothèque difficile, devant une bibliothécaire sceptique;
- le choix difficile d’une photo à envoyer à son père;
- les chansons de Claude François adulé par une copine de classe;
- les secrets de la langue française, comme on découvrirait un trésor
“Une voyelle muette! Quand on ne connaît que l’espagnol, on ne peut imaginer que de telles choses existent – une voyelle qui est là mais qui se tait, ça alors!” (p. 73)
Faire son miel de la vie
La narratrice voit, vit, pense comme une enfant faisant son miel de la vie quotidienne. Elle porte sur le monde environnant un regard étranger, rendant naturel son perpétuel étonnement. C’est le principe des “Lettres persanes” de Montesquieu.Jusqu’au jour où la jeune fille s’exprime devant sa mère … en français, sans le faire exprès. Elle a pensé et parlé en français pour la première fois. Quelque chose s’est produit là, comme une cassure qui représente pour la jeune fille en devenir un avenir différent. Plus rien ne sera comme avant pour l’enfant qui deviendra écrivaine, traductrice, femme de lettres.Un petit livre drôle, émouvant, très réussi, dont on regrette le faible nombre de pages. Quoi, c’est déjà fini!