Symbiose parfaite entre manga, bande dessinée et roman graphique. Frédéric BOILET scénarise de manière très originale une histoire d’amour.
Amours japonisantes
Le narrateur est un dessinateur français âgé de 40 ans. Il est établi au Japon depuis plusieurs années et il est devenu mangaka, auteur reconnu de manga. Il fait la rencontre de Yukiko, jeune étudiante de moins de 20 ans. Leur amour est subit et bref : en une dizaine de jours, la jeune et jolie Japonaise doit décider qui elle aime : le dessinateur ou Horiguchi, un jeune homme rencontré lors de mêmes circonstances. Avant qu’elle ne se décide, elle peut s’abandonner à une histoire d’amour d’autant plus belle qu’elle pourrait être brève.
Caméra subjective
L’histoire se déroule sous nos yeux avec pour point de vue principal le dessinateur en “caméra subjective”. Le livre nous plonge dans cette histoire en nous présentant les traits, faits et gestes de Yukiko par le seul biais du narrateur, spectateur-personnage, dont on voit incidemment les traits dans un reflet, une photo ou un miroir. Seuls apparaissent les mains ou les bras du dessinateur dans le cadre du dessin. Nous voyons les personnes, un paysage ou la jeune fille avec les yeux du narrateur.
Comme au cinéma
Le procédé est habile, rarement appliqué en bande dessinée, quelques fois au cinéma. Nous pensons notamment au film de Philippe HAREL, “La femme défendue” interprétée par Isabelle CARRÉ. L’actrice joue une jeune femme aimée par le narrateur; elle évolue sous le seul regard du héros masculin, personnage-cadreur, porteur de la caméra. De rares images montrent des parties de corps ou un reflet dans le miroir qui appartient à l’homme. Nous sommes spectateurs, voyants, regardeurs par la seule volonté de l’homme, partie prenante de l’histoire; nous voyons avec le regard du personnage et nous plongeons dans cette histoire avec un fort sentiment d’identification. La “réalité” est totalement subjective. Cette démarche sera reprise par l’auteur dans “286 jours”, roman photographique publié en 2013, dont le propos est assez semblable à cet Épinard : l’auteur-photographe prend les vues de la relation amoureuse nouée avec une jeune femme pendant 286 jours. Annie ERNAUX, dans “L’usage de la photo“, avait publié un roman tout aussi original avec la même optique.Le sentiment étrange, fasciné, que nous éprouvons à la lecture de ce roman graphique, est encore renforcé par des pages qui sont de vrais fac-similés de la réalité, un calque du réel : nous découvrons des photos, des tickets, le roman dans le roman… Nous nous introduisons de ce fait dans l’histoire…Cette optique originale, vrai parti pris, fonctionne à merveille. Tout concoure à la réussite de ce livre, avec des dessins magnifiques, une histoire attachante, dont se dégage une étrange mélancolie, une “nostalgie heureuse”. Comme dit un personnage de “Mariko Parade”, autre roman graphique de Frédéric BOILET : au Japon, il y a quelque chose de plus fort que l’amour, c’est le déclin de l’amour…
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