Á l’origine
Retour aux origines, pour Edouard LOUIS, qui revient dans le pays qui l’a vu naître et grandir, le Nord de la France. Il retourne chez sa sœur Clara, avec qui il a maintenu un contact, à l’encontre du lien distendu avec les autres membres de sa famille. Il redevient ainsi Eddy Bellegueule, parle de sa jeunesse, de vols à la tire avec des copains, des bêtises de l’enfance. Ce sont ses études supérieures qui auront créé la cassure entre avant et après.
Il revient aux sources, pour parler avec sa sœur Clara des faits graves dont il a été victime à Paris. Le soir du réveillon, en rentrant chez lui, un homme l’a abordé. Ils se sont rendus en l’appartement du narrateur, ont passé la nuit ensemble, ont eu une relation sexuelle. Puis, au matin, après la douche, l’homme va partir. Le narrateur s’aperçoit que son amant d’un soir l’a volé. Objets du larcin : un iPad, son portefeuille. Un échange de plus en plus violent a lieu entre les deux hommes, à la fin duquel le voleur viole le narrateur et tente de le tuer. Le malfaiteur s’échappe.
La honte
Le narrateur raconte ici, en alternance avec Clara, le délit dont il fut victime. Avant et après en avoir dénoncé les faits à la police. Plusieurs amis l’accompagnent dans ses démarches et conversent avec lui. C’est l’occasion pour l’auteur de revenir sur les origines de la violence, de faire la sociologie des comportements violents qui ont marqué son existence. Avec pour point central la honte.
“La forme de la mémoire la plus vive et la plus durable, une mémoire qui s’inscrit au plus profond de la chair.” (p.142)
De ce fait, Édouard LOUIS devient “mémorialiste“, il écrit ses mémoires et devient une sorte d’Annie ERNAUX au masculin. On sait combien pour la romancière la honte prend une place prépondérante dans son travail de mémoire (La Honte, Mémoire de Fille). Tous deux ici veulent “atteindre une forme de mémoire qui ne répète pas le passé” (p.185), seule issue contre l’oubli. Ces écrivains de la mémoire luttent contre l’oubli, pour éviter les lacunes, les omissions du fait de la honte. Avec pour principale raison honteuse l’origine sociale, le fossé qui sépare la vie d’intellectuels qu’ils sont devenus, et l’existence déclassée sur le plan sociologique de leur famille d’origine.
La violence
Et la violence dans tout ça? C’est celle dont a été victime le narrateur (un viol) ou les relations sexuelles violentes dont parle Annie ENAUX dans son dernier récit (en 1958, le choc créé par une première relation avec un homme et du traumatisme causé pendant plus de deux ans, dont l’absence de règles). Ce qui frappe surtout, dans la situation des deux victimes, et dont parle ici Edouard LOUIS, c’est cette “violence de l’enfermement” (p.149). Pas moyen d’en sortir, aucune issue pour échapper à sa condition : sa condition sociale, comme la situation dans laquelle se trouve la victime d’un agresseur.
Terrible inertie, cette impossibilité de fuir hors la violence, presque insurmontable. Reste la violence, celle du corps, ensuite celle du langage. Par le corps au moment où la violence les frappe, et par le langage au moment où il faut raconter les faits à la police. Chose étonnante, Edouard LOUIS à la suite d’Annie ERNAUX a choisi d’en parler de plus par l’écriture. Se faire violence, en écrivant, en trouvant in fine une échappatoire. Éloge de la fuite.