Le livre de sa mère
Christine ANGOT écrit le livre de sa mère. Elle raconte l’histoire de ses origines. Rachel, sa mère, juive, est de condition modeste. Elle vit à Châteauroux et y rencontre Pierre, un homme de bonne famille. Il est brillant, intelligent, avec un bel avenir. Ils ont un enfant, Christine, que l’homme ne reconnaîtra que de nombreuses années plus tard. Ils ne vivent pas ensemble, leurs liens se distendent. Pourtant, la mère n’aura de cesse de renouer une relation, même distendue, au nom de son enfant.
Tout oppose ces deux personnes : leur classe sociale, leur famille, le pouvoir, la culture, le langage. Cette différence inéluctable, indépassable, se marque dans la langue avant tout et dans les corps. Au plus profond de l’être : corps social et intériorité individuelle, appartenance à un rang et corps sexuel.
La langue maternelle
La langue maternelle est simple, pauvre pourrait-on dire. Les mots de l’auteur épousent ce langage. Les expressions sont banales, les mots courants, les phrases courtes. Sujet, verbe, complément suffisent pour décrire une vie simple, dans un langage direct, véhiculaire. Sans pathos, sans “extrapoler” pour reprendre un terme de l’auteur.
L’écriture de la romancière emprunte à la langue maternelle cette simplicité évidente. Pas d’ambages, pas de manipulations, d’effets linguistiques. Les énumérations de mots simples, la succession de phrases courtes, un style “plat” se conforment à l’intime verbiage de la mère, ordinaire. L’auteur elle-même en reprenant des propos de son père dit:
“Excuse- moi. Je parle jamais comme ça, c’est pas mon lan gage, tu le sais.” (p. 211).
Dans ce sens, le récit est une photographie neutre, une écriture “blanche”, objective, sans affect. Une sorte de mise à distance sans doute nécessaire pour l’auteur, tant son histoire est dramatique : pendant plusieurs années, alors que la mère s’est rapprochée du père de son enfant, en vue d’une reconnaissance paternelle, la jeune fille sera violée par son père.
Des abus de langage
Par opposition, le langage du père est précis, choisi, châtié. Il témoigne d’une condition sociale haute, d’un milieu intellectuel. Le père est érudit, en témoigne les propos tenus dans ses lettres adressées à la mère et l’enfant. Sa rhétorique cache un esprit retors, un être pervers, et surmonte de manière éhontée l’interdit de l’inceste. Il abuse des gens et des mots, dans tous les sens du terme. Il joue avec les mots, manipule les phrases et les êtres, en exerçant le pouvoir de sa classe sociale, en usant d’une force de contrainte sur les corps:
- il séduit la mère qui est en son pouvoir, elle victime consentante;
- il contraint la fille, en dépit de tout interdit de société.
Un roman social, un amour impossible
Le récit devient un roman social; Angot devient Ernaux.
Dans la dernière partie du livre, alors que fille et mère multiplient les rencontres dans un restaurant pour faire le bilan, l’auteur se livre à une critique de la raison sociale. Devant sa mère, elle prend les mots de son père pour faire le procès auquel il a échappé, et rend son verdict en en appelant à la lutte des classes. L’amour est impossible, la vie perdue d’avance.
” Peut-être que tu t’es crue plus forte. Or, il t’avait prévenue depuis le début, tu pouvais, certes, être en contact avec lui, mais uniquement lui, sa personne, sa personne pri- vée. Il n’était pas question que tu sois en contact avec sa personne sociale. C’est-à-dire son milieu, son identité. Il n’était pas question que vos deux iden- tités se rejoignent. Elles ne devaient pas être en contact. Il te faisait des compliments sur toi, certes, mais en prenant soin de dénigrer, en même temps, les traces sociales accrochées à toi par la culture et le langage. Il te faisait des compliments sur toi, mais de haut, en observa,nt ton niveau, en restant très au-dessus.” (p. 204)
Angot écrit le livre sur sa mère, avec les mots de son père, sans plus de chagrin.
“Parce que tu penses qu’un interdit, fût-il fon- damental, allait le mettre au ban de sa petite société ? Alors qu’il est convaincu de sa supériorité ? Et qu’ils le sont aussi. Non. Donc il transgresse cet interdit pour te faire comprendre, in extremis, puisque tu t’obstines à lui mettre sous le nez que je suis sa fille, que ça ne marche pas comme ça, pas chez eux, il te fait descendre d’un cran de plus.” (p.211)
Terrible constat, dans un petit livre à première vue banal, pourtant terriblement attachant, pour parler d’un amour vraiment impossible.
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