En 1997, Barbara a 67 ans et écrit ses mémoires, autobiographie fragmentaire interrompue par son décès. Il en reste ces pages où la chanteuse se raconte, parle de sa passion pour la musique, sa carrière, son public. Elle traduit par écrit les blessures de l’enfance, la musique qui la porte, le succès auprès de son public.Prédomine pourtant le souvenir des heures sombres à l’origine de son art. Barbara commence son récit par les années difficiles, l’enfance durant la guerre, la violence du conflit armé, le viol…
“Un soir à Tarbes mon univers bascule dans l’horreur. J’ai dix ans et demi.” (p. 31)
Elle raconte dès le début de ce livre l’inceste commis par son père, la honte, la peur. S’ensuit une existence toujours difficile, magnifiée par la musique. Sa carrière est jalonnée de chansons magnifiques et de succès publics, son existence est parcourue de séjours en clinique, à la suite de dépressions dont quelque part se nourriront ses compositions.
“De ces humiliations infligées à l’enfance, de ces hautes turbulences, de ces descentes au fond du fond, j’ai toujours ressurgi. Sûr, il m’a fallu un sacré goût de vivre, une sacrée envie d’être heureuse.” (p.31)
Ainsi commence sa vie de femme qui chante, sous les pires auspices.
L’encre noire
La chanteuse habillée de noir, semblable à un oiseau noir, se compare à la seiche.
“Une espèce de poisson mollusque qui pour se protéger, diffuse une encre noire qui la dissimule au pêcheur et à ses autres prédateurs. Lorsque je ne voulais plus voir ni entendre, j’appuyais dans ma tête sur une gâchette secrète, et me retrouvais immédiatement coupée du monde, les genoux repliés sous le menton, devenue inatteignable.” (p.30)
C’est la métaphore de l’écriture même décrite comme résilience. C’est l’encre de la parolière ou de la compositrice, le piano noire de la musicienne qui joue, invente, chante pour ne pas avoir peur du noir. La pianiste naît pour échapper à la folie. Elle apprend très tôt le piano sans posséder d’instrument. Elle travaille mentalement, partout, tout le temps, le jour en marchant, la nuit dans son sommeil.
“Je viens d’acquérir une pratique qui me servira toute ma vie. J’ai appris à m’écouter, à intérioriser, à m’isoler avec une grande liberté.” (p.47)
Le retranchement, l’isolement dans le noir de l’encre pour sauvegarde, les internements psychiatriques, et la liberté pourtant.De ces pratiques solitaires qui remontent aux origines de l’existence, elle fera un art en rencontrant …un public! De la solitude naît la prestation publique, devant le plus grand nombre – “un public qui a été pour moi un accoucheur”, dit-elle plus loin (p.119). Une renaissance vient de l’amour du public.
Il pleut sur Nantes
Par la suite, devant le corps de son père mort, seul à Nantes, elle pardonne. La réconciliation est possible, mais pas l’oubli. Elle s’en sort, puisqu’elle chante.Formidable petit récit, hélas inachevé, qui est une parfaite invitation à écouter les chansons de Barbara, où se côtoient la beauté et le désespoir – on comprend mieux pourquoi en lisant ces pages.——
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