Répétitions
Un roman de campus, à l’américaine. A double titre : une même histoire se répète, celle d’Isolde, jeune lycéenne qui suit un cours de musique, et celle de Stanley, qui étudie l’art dramatique. Le récit progresse de séance en séance, en suivant l’évolution des deux jeunes étudiants, lors de répétitions. Isolde se confie à sa professeure de saxophone, comme ses camarades Julia ou Bridget. Stanley se soumet aux pratiques de ses maîtres d’interprétation ou d’improvisations.Ces deux êtres, jeunes, innocents se rencontrent, se fréquentent, s’aiment. Isolde assiste par hasard à une répétition théâtrale où apparaît Stanley. Deux destins se croisent, dans un contexte particulier, pesant : la soeur d’Isolde, Victoria, mineure, a entretenu une relation avec son professeur de piano. Un scandale prend vigueur dans la petite communauté du collège Abbey Grange. Quelque chose de scandaleux s’immisce dans une famille, au sein d’un groupe social, sur le campus:
- des psychologues prennent possession de l’espace pour encadrer les étudiants;
- la question de la relation sexuelle entretenue par sa soeur, bouleverse Isolde et provoque l’intérêt de sa professeure de saxophone, avide de révélations;
- un groupe de théâtre s’inspire du fait divers pour monter un spectacle de fin d’année. Stanley y prend part, provoquant sa perte sans le savoir.
“Ce dont il s’agit dans le jeu d’acteur, ce n’est pas de reproduire quelque chose qui existe déjà. Le manteau d’Arlequin n’est pas une fenêtre. La scène n’est pas une petite chambre ouverte d’un côté où la vie suivrait son train-train ordinaire. Le théâtre est un concentré de la vie ordinaire. Le théâtre est une version épurée de la vraie vie, une distillation, une quintessence du comportement humain, plus étrange, plus tragique, plus parfaite que toute normalité, chez moi, chez vous ou chez quiconque.” (p.54)
Relations d’apprentissage perverties
Deux êtres jeunes, fragiles, innocents évoluent sous nos yeux dans un monde où les adultes, responsables : parents, professeurs, se révèlent vils, intéressés, manipulateurs. Isolde et Stanley se croisent, se cherchent et s’aiment, au grand dam des maîtres d’art dramatique ou professeurs de musique. Les deux étudiants grandissent dans un environnement défavorable, pervers. Ils portent tous deux le poids d’une tragédie dans un univers étudiant trouble, sous le regard de personnes adultes qui représentent l’autorité, une responsabilité éducative, des valeurs de transmission. Il est question de perdre, plus que de gagner, dans ce rapport d’apprentissage.
“L’innocence n’existe plus. Il n’y a plus que l’ignorance. On s’imagine qu’on est en train de préserver quelque chose de pur, mais ce n’est pas vrai. On est ignorant, c’est tout. On est handicapé par tout ce qu’on ne sait pas encore .- Mais moi je vois quelque chose de pur chez toi, insista Stanley tout bas. Je vois chez toi quelque chose qui te met à part de toutes les autres. Je vois chez toi une pureté.” (p.175)
Haute teneur dramatique
Le récit contient une réelle part dramatique, aiguisée par une construction narrative particulière. Dialogues, réparties et répliques entre les personnages alimentent l’histoire en grande partie. Se crée ainsi une prise directe dans l’histoire, ou indirecte, dans la mesure où les personnages qui dialoguent en disent autant sur eux-mêmes que sur les autres dont ils parlent. Les séances de musique se succèdent, les répétitions théâtrales se suivent, où professeurs et maîtres se nourrissent des révélations faites par leurs apprenants. De confidence en confidence, en toute confiance… Des adultes soutirent des renseignements et nourrissent ainsi le récit, alimentant aussi notre volonté de savoir, nous lecteurs.Mais nous resterons sur notre faim, car le récit s’achève en laissant s’installer un dernier mystère. Nous devons laisser là, Stanley, Isolde, à leur destin adolescent.
“La leçon une fois finie, Isolde se referme sous le vernis de la politesse. Elle se tient maintenant près de la porte, son étui à la main. L’intimité, l’intensité si précieuse de la situation d’apprentissage n’est plus, et la prof de saxophone ne peut que sourire et lui faire un signe d’adieu en disant:- À vendredi, Isolde. Porte-toi bien.” (p385)